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Oxalose (Hyperoxalurie primitive)
L’hyperoxalurie primitive (ou « oxalose ») est une des principales pathologie à rechercher chez un enfant porteur de lithiases rénales (calculs dans les voies urinaires). Il s’agit d’une maladie génétique « autosomique récessive » (voir notions de génétique), donc chacun des 2 parents, porteur d’une mutation sur une seule des deux copies du gène, sont indemnes.
Il existe deux formes de la maladie qui sont associées à des mutations dans deux gènes différents. L’hyperoxalurie primitive de type 1 (HP1), la plus fréquente et la plus grave, est causée par le déficit d’une enzyme hépatique, l’AGT (alanine:glyoxylate aminotransférase); l’absence de celle-ci empêche la transformation du glyoxylate en glycine, et conduit à une surproduction d’oxalate (Figure 1), qui est excrété dans les urines sous forme d’oxalate de calcium ; celui-ci étant insoluble dans l’urine et les tissus, forme des calculs et se dépose sous forme de cristaux dans les reins, puis dans les autres organes lorsque les reins n’assurent plus leur fonction d’élimination, aboutissant alors à l’ « oxalose » proprement dite (Figure 2).
Figure 1 : schéma du métabolisme du glyoxylate, montrant le rôle des enzymes impliquées dans l’HP : HP1 : AGT ; HP2 : GR/HPR. Le déficit de l’une ou l’autre de ces enzymes entraîne une surproduction d’oxalate, les autres voies métaboliques étant bloquées.
Figure 2 : image d’un cristal d’oxalate de calcium monohydraté
Les autres formes d’hyperoxalurie primitive, de type 2 (HP2), due au déficit d’une autre enzyme (glyoxylate/hydroxypyruvate réductase, GR/HPR), ou de type 3 récemment décrit, sont beaucoup plus rares et ne semblent pas se compliquer de dépôts généralisés d’oxalates.
Diagnostic
L’hyperoxalurie primitive est une maladie rare (estimée à 1 cas pour 120 000 naissances en France), mais elle est plus fréquente dans les pays où les mariages consanguins sont habituels. Elle se révèle habituellement dans l’enfance (avant 25 ans dans 90% des cas, et même avant 5 ans dans 50% des cas).
Dans la majorité des cas, la maladie se manifeste par une lithiase rénale, révélée par des douleurs abdominales (prenant rarement chez l’enfant le caractère typique de la colique néphrétique), des hématuries (sang dans les urines), ou une infection urinaire. L’échographie rénale, systématique devant ces symptômes, montre la présence de dépôts calciques dans les voies urinaires (calculs) ou déjà dans le tissu rénal (néphrocalcinose). Une radiographie simple de l’abdomen confirme la nature calcique et la localisation des dépôts, souvent déjà multiples et bilatéraux (Figure 3).
Figure 3 : aspect typique de la radio d’abdomen d’un enfant atteint d’hyperoxalurie primitive : néphrocalcinose des 2 reins et gros calcul dans l’uretère gauche
L’analyse d’un calcul éventuellement éliminé ou enlevé, ou des cristaux présents dans les urines (cristallurie), montre qu’il s’agit d’oxalate de calcium monohydraté (whewellite), contrairement aux calculs habituels d’oxalate de calcium (beaucoup plus fréquents), faits d’oxalate de calcium dihydraté (weddellite).
Dans 10% des cas environ (forme infantile), la maladie se révèle dans la première année de vie par une insuffisance rénale très précoce, et l’échographie et la radiographie montrent des reins déjà presque entièrement calcifiés (néphrocalcinose diffuse). Devant toute lithiase ou néphrocalcinose chez un enfant, le dosage de l’oxalurie doit être réalisé systématiquement, si possible sur les urines des 24 heures, ou chez le petit enfant sur un échantillon d’urines où l’on étudiera le rapport d’excrétion de l’urine et de la créatinine. L’élimination quotidienne d’oxalates (oxalurie) ne doit pas dépasser 0,5 millimole (mmol) par 24 heures (450 mg) chez un adulte ; les normes chez l’enfant, aussi bien pour l’oxalurie que pour le rapport oxalate/créatinine, dépendent de l’âge. En présence d’une hyperoxalurie par rapport aux normes de l’âge, un avis spécialisé doit être demandé, auprès d’un néphrologue pédiatre de préférence.
Si la suspicion d’une hyperoxalurie primitive est confirmée, le moyen le plus simple d’affirmer le diagnostic est maintenant la recherche de mutation du gène AGTX ( et éventuellement du gène GR/HPRX) dans un Laboratoire de Biologie moléculaire spécialiste de l’hyperoxalurie (en France, au CHU de Lyon), à partir d’un simple prélèvement de sang pour étude de l’ADN. En effet la mise en évidence du déficit enzymatique en AGT (ou en GD/HPR) ne peut se faire que sur une biopsie de foie, examen beaucoup plus lourd rarement indiqué actuellement.
Le diagnostic génétique prénatal, à partir de l’ADN fœtal recueilli par prélèvement de trophoblaste vers la 12ème semaine de grossesse, n’est possible que si les mutations du gène ont été retrouvées préalablement chez un enfant atteint dans la fratrie.
Evolution
Le diagnostic prénatal, quand il est possible, est médicalement justifié car en l’absence d’un traitement préventif efficace, l’évolution est très grave à terme, aboutissant presque inéluctablement à la destruction des reins et donc à l’insuffisance rénale dite « terminale », nécessitant les méthodes de remplacement de la fonction rénale (dialyse et greffe) dès l’enfance ou l’adolescence. Mais ces méthodes elles-même ne sont pas suffisantes, car l’oxalate continue à être produit en excès dans le foie, et ne pouvant plus être excrété par les reins, se dépose dans de nombreux organes : les os, qui se fracturent, la peau, la rétine, les artères, qui se calcifient, le cœur, entraînant des troubles du rythme cardiaque.
La transplantation de rein seul ne fait que ralentir cette évolution car l’oxalose se reproduit sur le greffon et le détruit. Hormis une minorité de cas où la vitamine B6 (pyridoxine) peut corriger partiellement le déficit enzymatique, le seul traitement curatif (capable de guérir la cause de la maladie) est la transplantation de foie, seule capable d’apporter l’enzyme manquante; étant donné le risque non négligeable de cette opération, on ne la réalise habituellement qu’au stade d’insuffisance rénale, et on fait alors une double greffe foie-rein, dont les résultats sont très encourageants.
Cependant, pour éviter de recourir à un traitement aussi lourd, tous les efforts doivent d’abord porter sur un diagnostic précoce et un traitement préventif bien conduit.
Traitement préventif
Toutes les conséquences pathologiques de l’hyperoxalurie primitive découlant de l’insolubilité de l’oxalate de calcium dans les urines, le but du traitement préventif (ou « conservateur ») est d’éviter cette évolution désastreuse, en intervenant dès la découverte de la maladie pour au minimum stabiliser et au mieux empêcher la déposition des cristaux d’oxalate de calcium dans le rein.
Le seul traitement actuellement utilisable pour diminuer l’accumulation d’oxalate est la pyridoxine ou vitamine B6. Elle agit comme « cofacteur » de l’enzyme manquante et dans certains types de mutation où l’enzyme est encore présente, elle peut augmenter son activité et diminuer la production d’oxalate. Une diminution de l’oxalurie d’au moins 30% est nécessaire pour conclure à son efficacité, observée dans 20 à 30% des cas.
D’autres substances sont en cours d’essais, mais ces traitements ont peu de chances d’être efficaces à eux seuls, étant donné l’énorme hyperproduction d’oxalate.
C’est aussi pourquoi la réduction de l’apport alimentaire d’oxalate (abondant dans le chocolat, la thé, la rhubarbe, l’oseille, les épinards) est d’un intérêt mineur.
Les mesures préventives les plus efficaces sont celles qui visent à empêcher la précipitation de l’oxalate dans les reins et l’urine : la dilution maximale de l’urine par hyperhydratation et la solubilisation de l’oxalate de calcium. Mais cela n’est bien sûr possible que si les reins fonctionnent encore et sont capables d’éliminer de grandes quantités d’eau. Pour que l’urine soit en permanence suffisamment diluée, il faut en effet assurer à tout moment (jour et nuit), un apport d’eau abondant (3 à 4 litres par m2 de « surface corporelle * par 24h), soit au moins 1,5 litre pour un enfant de 10 kgs, 3 litres d’eau pour un enfant de 25 kgs, 5 litres pour un adulte de 70 kgs. Lorsque l’enfant est trop jeune pour se réveiller plusieurs fois la nuit pour boire, il est nécessaire d’administrer au moins la moitié de l’apport d’eau quotidien la nuit, en continu par un système de pompe, à travers une sonde intragastrique ou directement dans l’estomac grâce à une « gastrostomie »**. (Tout arrêt de l’hyperhydratation, par exemple à l’occasion d’une maladie aiguë intercurrente, peut aboutir à la précipitation brutale de l’oxalate dans les reins et à une insuffisance rénale parfois définitive. Il est très important de prévenir tous les médecins appelés à soigner les patients atteints d’HP I, en particulier chirurgiens et anesthésistes, que l’apport d’eau obligatoire doit être donné par voie veineuse si la voie orale est impossible.)
Les médicaments les plus efficaces pour solubiliser l’oxalate de Ca sont le citrate de sodium ou de potassium au goût peu apprécié par les enfants, ou à défaut le bicarbonate de sodium (ou de potassium), plus facilement disponible et mieux accepté. Ce traitement doit être réparti sur les 24h (avec une partie de la dose la nuit), de façon à alcaliniser les urines (pH > 6) en permanence.
Le bon suivi du traitement doit être vérifié régulièrement , principalement sur le volume de la diurèse des 24h et si possible sur l’absence de cristaux dans les urines du matin. En effet, si ce traitement conservateur est parfaitement réalisé, l’expérience montre qu’il peut éviter l’apparition de tout dépôt détectable dans les reins d’enfants atteints traités depuis la naissance et empêcher la progression des dépôts dans les cas traités plus tardivement, et ainsi éviter le développement de l’insuffisance rénale.
Mais il s’agit d’un traitement « à vie » et le risque essentiel, du moins chez l’adolescent et le jeune adulte, est le refus des contraintes qu’il représente et la mauvaise observance du traitement, qui conduirait rapidement à la destruction rénale définitive.
* la surface corporelle est calculée à partir du poids et de la taille. Elles est de 1,73 m2 chez un adulte « moyen », de 1 m2 chez un enfant de 25 kgs environ
** la gastrostomie consiste à créer un petit orifice dans la paroi de l’estomac, ouvert à la peau en haut de l’abdomen. Cet orifice est indolore et il est obturé durant la journée par un « bouton », que l’on retire le soir pour y brancher la tubulure d’eau reliée à la pompe.
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