Qu’est-ce que la Cystinurie ?

La cystinurie est une maladie génétique responsable de lithiase rénale (calculs dans les voies urinaires) en raison d’une excrétion urinaire excessive de cystine. La cystine étant un acide aminé très peu soluble dans l’urine, elle forme alors des cristaux, qui s’agrègent en calculs dans les calices des reins, les pyélons (ou bassinets),les uretères, la vessie ou l’urètre.

Comme d’autres acides aminés (dits « di-basiques »), en particulier la lysine, sont aussi excrétés en excès dans l’urine (mais sans aucune conséquence pathologique), on parle parfois de « cystinurie-lysinurie ».

La cystinurie est une maladie rare, estimée à environ 1 personne sur 7000, avec des fréquences variables suivant les pays. Elle touche autant d’hommes que de femmes.

Bien qu’elle ne représente que 1 à 2% des lithiases de l’adulte, elle est la plus fréquente des lithiases génétiques, et elle est responsable d’environ 10% des lithiases de l’enfant.

Normalement la cystine, présente en grande quantité dans l’urine primitive, est réabsorbée vers le sang dans la partie initiale des tubes rénaux, le « tube proximal ». Ce mécanisme dépend d’un transporteur spécifique, situé au niveau de la paroi interne des cellules bordant le tube proximal et constitué par deux protéines associées.

Deux gènes, SLC3A1 situé sur le chromosome 2 et SLC7A9 situé sur le chromosome 19 contiennent respectivement les messages nécessaires à la « fabrication » de ces protéines. Une anomalie de l’une ou l’autre de ces protéines entraîne un dysfonctionnement du transporteur.

L’augmentation de l’excrétion urinaire de cystine est provoquée par les mutations de l’un ou l’autre des deux gènes :

  • les mutations du gène SLC3A1 impliquées dans la cystinurie de type A ;
  • les mutations du gène SLC7A9 impliquées dans la cystinurie de type B.

La cystinurie est transmise selon le mode récessif autosomique. Dans la cystinurie de type A, les parents sont chacun porteurs d’une mutation sur l’un des deux exemplaires du gène SLC3A1. Les parents, qui ont donc une copie normale du gène et une copie mutée, ont une élimination urinaire de cystine normale. La maladie lithiasique apparaît chez l’enfant lorsque celui-ci est porteur de deux mutations, héritées de chacun de ses parents.

Dans la cystinurie de type B, les parents sont également tous deux porteurs d’une mutation du gène SLC3A9 ; mais dans cette forme, avoir une seule mutation entraîne une élévation de l’excrétion urinaire de cystine. Les parents ont donc une augmentation variable de l’élimination urinaire de cystine, mais sans lithiase. La maladie lithiasique apparaît chez l’enfant, porteur de deux mutations, héritées de chacun de ses parents.

Il n’y a pas de relation entre le «génotype» (cystinurie A ou cystinurie B) et la précocité ou la sévérité des symptômes.

Les premiers symptômes apparaissent avant 20 ans chez environ 80 % des patients, en moyenne vers 12 ans chez les filles et 15 ans chez les garçons. Souvent, ils apparaissent dès la petite enfance : la cystinurie doit toujours être recherchée chez un enfant ayant un calcul.

Les signes cliniques sont secondaire à la lithiase rénale, seule conséquence pathologique de la fuite urinaire de cystine. Soit ils révèlent la maladie, soit ils surviennent en cours d’évolution. Les calculs des voies urinaires se manifestent par des douleurs (pouvant aller jusqu’à la crise de « colique néphrétique »), des douleurs lombaires ou abdominales persistantes, des hématuries (présence de sang dans les urines), des infections urinaires souvent répétées, l’élimination de petits calculs dans les urines (en particulier chez les nourrissons).

La maladie peut cependant être découverte par un dépistage systématique au cours d’une enquête familiale.

Rarement, la cystinurie peut être suspectée chez un fœtus lorsque l’échographie pratiquée pendant le 3e trimestre de la grossesse montre un aspect « hyperéchogène » du côlon (côlon apparaissant trop blanc, trop brillant). Cet aspect est le plus souvent lié à l’élimination excessive de cystine par les cellules du tube digestif, également porteuses de l’anomalie du transporteur des acides aminés dibasiques. Le fœtus n’a pas de calcul dans les voies urinaires. Il ne présente aucune manifestation digestive après la naissance.

 

1 – L’imagerie

Devant des symptômes évocateurs de lithiase, le premier examen à réaliser est l’échographie du rein et des voies urinaires. Facilement accessible, elle montre les calculs sous forme de taches blanches, « hyperéchogènes ». Les calculs de cystine sont souvent multiples et bilatéraux.
La radiographie d’abdomen « sans préparation », permet de mieux préciser leur localisation, leur forme, leur taille ; mais les calculs de cystine sont souvent peu « radio-opaques », mal visibles. Elle est souvent associée à l’échographie.
La tomodensitométrie (ou scanner) n’est habituellement pas nécessaire pour le diagnostic.

2 – L’analyse d’un calcul

Lorsqu’un calcul a été éliminé spontanément ou recueilli par le chirurgien lors d’une intervention, son analyse par spectrophotométrie infra-rouge apporte la preuve de sa nature (cystine seule, parfois mixte). Fondamentale, cette analyse n’est cependant faite que dans un laboratoire spécialisé.

3 – La recherche des cristaux dans les urines ou cristallurie

En l’absence de calcul, l’analyse des urines fraîches du matin recherche la présence des cristaux hexagonaux de cystine, d’aspect caractéristique. Elle n’est possible que dans certains laboratoires.

4 – Le dosage de cystine urinaire (sur les urines de 24 heures ou sur une miction) confirme le diagnostic.

Elle permet de déterminer la quantité de cystine et des autres acides aminés présents dans l’urine. Sur les urines de 24 heures, l’excrétion est très augmentée : supérieure à 2 mmol (ou 480 mg) par jour chez l’adulte (la normale n’excède pas 0,13 mmol ou 31mg). Chez l’enfant, les taux sont exprimés en fonction de la « surface corporelle ». Sur un échantillon d’urines, la quantité de cystine rapportée à la créatinine est supérieure à 0,03 mmol /mmol (ou à 24 mg/g) de créatinine.
Il est à noter cependant que l’interprétation des résultats doit dépendre des valeurs normales données par le laboratoire, et que, d’autre part, l’excrétion urinaire est physiologiquement plus élevée en période néonatale.

Toutes les conséquences pathologiques de la cystinurie dépendent de l’insolubilité de la cystine au pH (degré d’acidité) de l’urine, d’où découle sa précipitation sous forme de calculs dans les voies urinaires.

L’anomalie du transport de la cystine et des autres acides aminés dibasiques dans les cellules du tube digestif n’a aucune conséquence pathologique en dehors de la vie fœtale et ne s’exprime pas après la naissance.

Chez de très rares enfants, à la cystinurie sont associés à des anomalies neurologiques (hypotonie néonatale, convulsions, retard de développement). Ce sont des syndromes complexes dus à des « délétions » (perte d’un fragment d’ADN) emportant plusieurs gènes contigus au gène SLC3A1 sur le chromosome 2.

En l’absence d’une prise en charge bien conduite, les calculs se forment en permanence et provoquent des crises douloureuses répétées. Ils peuvent s’accumuler et former des amas calculeux volumineux. Ils sont souvent bilatéraux siégeant dans les bassinets (ou pyélons) des reins (ce qu’on appelle un calcul « coralliforme ») ou dans les uretères, créant une obstruction des voies urinaires, source de lésions rénales risquant d’aboutir à la destruction du rein.

La fonction rénale (« filtration glomérulaire », estimée par la « clairance de créatinine ») est souvent altérée chez l’adulte dont le suivi n’a pas été optimal.

La destruction des deux reins responsable d’insuffisance rénale « terminale », nécessitant dialyse et greffe est maintenant exceptionnelle. Il n’y a pas de risque de récidive sur le greffon, indemne de l’anomalie génétique.

Actuellement, la meilleure connaissance de la maladie permet un diagnostic plus précoce, un traitement plus rapide des calculs et une prévention plus efficace des rechutes, améliorant ainsi nettement le pronostic.

La lithiase est très récidivante et peut de ce fait retentir sur la qualité de vie, en raison des crises douloureuses liées à l’obstruction des voies urinaires, des traitements chirurgicaux répétés et des contraintes du de la prise en charge médicale préventive.

La vie quotidienne (en particulier le travail) peut être perturbée par la nécessité de boire abondamment toute la journée et par conséquent d’uriner fréquemment. Chez l’enfant, l’établissement d’un Projet d’accueil individualisé (PAI) avec l’école lui permet de boire et d’accéder aux toilettes quand il le désire.

Prise en charge médicale

Bien conduite, bien accompagnée, bien comprise, bien acceptée par le patient, elle permet de prévenir les récidives de calculs et leurs conséquences (douleurs, infections urinaires).

Le but de la prise en charge est d’amener la concentration de cystine libre dans l’urine et le pH (taux d’acidité) urinaire à un niveau permettant la meilleure solubilité de la cystine excrétée dans les urines. Ceci peut être obtenu théoriquement en associant plusieurs mesures diététiques et médicamenteuses :

  • Le premier point et le principal est la dilution permanente des urines grâce à des boissons abondantes permettant une diurèse de l’ordre de 3 litres par 24 heures chez l’adulte (2 litres/m2 chez l’enfant), ingérées non seulement dans la journée mais également pendant la nuit, période où la concentration des urines est maximum et donc le risque de formation de lithiase également. Chez le nourrisson, la prise de boissons pendant la nuit peut nécessiter l’installation d’une sonde naso-gastrique ou une gastrostomie.
  • L’alcalinisation des urines jusqu’à un pH de 7 à 7,5 est également indispensable pour obtenir la meilleure solubilité de la cystine. Cette alcalinisation, obtenue avec des eaux alcalines ou la prise orale de Citrate de Potassium, de Bicarbonate de Potassium ou de Sodium, doit être répartie régulièrement au cours de la journée et de la nuit, de préférence diluée dans l’eau de boisson.
  • Un réajustement progressif des habitudes alimentaires nécessitant l’aide d’une diététicienne (ayant une bonne connaissance de la cystinurie), afin de contrôler les apports en méthionine, précurseur de la cystine, apportée par les aliments contenant des protéines ; en effet elle ne peut pas être complètement supprimée de l’alimentation car il s’agit d’un acide aminé essentiel (ne pouvant être synthétisé par l’organisme). La diététicienne aidera aussi à limiter l’ingestion de sel, car l’excrétion urinaire du sodium augmente celle de la cystine, et à augmenter les aliments alcalinisants (légumes et fruits) et diminuer les aliments acidifiants (viande, poissons œufs).
  • Lorsque malgré toutes ces mesures bien conduites, la cystinurie dépasse le seuil de cristallisation, il peut être nécessaire, malgré leurs effets secondaires non négligeables (allergies, troubles respiratoires, digestifs) de recourir à un traitement par les sulfhydriles (D-Pénicillamine (Trolovol°) ou Tiopronine (Acadione°) (qui seule a l’autorisation en France pour traiter la cystinurie) qui captent la cystine pour l’éliminer dans les urines. Ces médicaments sont formellement contre-indiqués pendant la grossesse et leur utilisation nécessite une surveillance régulière du nombre de globules blanc et de l’albuminurie.

Prise en charge urologique

La prise en charge des calculs qui ne s’éliminent pas spontanément fait appel aux techniques urologiques du traitement des lithiases.

L’urologue a recours aux interventions les moins invasives (la chirurgie ouverte n’est plus pratiquée) en fonction de chaque situation.

La lithotritie extracorporelle (fragmentation des calculs par des ondes de choc) est peu utilisée dans la cystinurie en raison de la dureté des calculs.

L’extraction du ou des calcul (s) par urétérorénoscopie apporte maintenant un progrès majeur. La néphrolithotomie percutanée est indiquée pour des calculs de plus 2 centimètres, complexes.

Dans cette maladie où le traitement préventif doit être suivi 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 pour éviter les récidives, toute la vie, une surveillance régulière est indispensable. Elle est assurée à la fois

1 – Par le patient lui-même – ou ses parents s’il s’agit d’un enfant – qui apprennent à surveiller régulièrement la dilution et les pH grâce aux bandelettes réactives, dans le but que

  • la densité des urines de 24 heures soit inférieure à 1010, et la densité des urines du matin soit inférieure à 1015,
  • et le pH (taux d’acidité) urinaire se situe autour à 7.5 :

2 – Par une équipe multidisciplinaire associant médecin traitant (pédiatre éventuellement, néphrologue (pédiatre néphrologue éventuellement), radiologue, diététicienne, urologue. Le rythme des consultations est rapproché au début. Ensuite, les consultations doivent avoir lieu à intervalles réguliers, d’autant plus rapprochées que la maladie est sévère.

La surveillance biologique comporte :

  • le dosage urinaire de la cystine (dont la concentration doit être maintenue au dessous de 250 mg/litre, seuil de cristallisation)
  • et surtout (lorsqu’elle est possible), l’étude de la cristallurie des urines fraîches du matin : les cristaux de cystine doivent être absents.

La surveillance régulière de la fonction rénale et de la pression artérielle s’imposent.
La surveillance radiologique
Les techniques utilisées dépendent de l’âge du patient et du contexte clinique.
Elle peut associer échographie, radiographie d’abdomen sans préparation et chez l’adulte la tomodensitométrie rénale à faible dose d’irradiation.
Le rythme de surveillance régulière par échographie est adapté à chaque situation.

En conclusion

Pour prévenir la récidive des calculs, la participation du patient et son adhésion à aux recommandations hygiéno-diététiques est essentielle.

Une aide, des encouragements, voire un accompagnement psychologique peuvent permettre d’éviter leur abandon. En plus des consultations personnelles, certains centres organisent des ateliers où les patients trouvent des conseils pratiques.

L’aide d’une association de patients peut être très utile. L’AIRG-France accueille l’association pour la recherche et l’information sur la cystinurie ; site internet : http://www.cystinurie.com/).

 

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Rédaction :  Dr Marie-France GAGNADOUX et Dr Micheline LEVY, Paris – Hôpital Necker

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